Brest-Naval:


         

Mon séjour est prêt de s’achever à la " caserne des classes " et j’espère être affecté demain. Il est temps car la futilité de cette vie s’accentue chaque jour. Même en raréfiant les paroles, je me sens l’esprit décliner, si bien que j’en viens à croire à cette théorie de l’osmose entre milieu et pensée, l’environnement étant ici générateur de rachitisme.

Cette atmosphère d’attente rend toute phrase longue à concevoir et difficile à écrire. Tout s’alourdit. Ne serais-je qu’un réceptacle à présent vidé par les catastrophes et le sabotage intérieurs, tout de même habité parfois d’ombres blanches et de souvenirs.

Tout cela fait éclore une rancune obscure, alimentée par les gravillons, la calamine et la suie physiologiques que l’on nous sert sous le nom de nourriture. Des jambes au cerveau le sang tord les vaisseaux, et la grisaille étrille la personne entière.

 

Je rêve toujours mon envie de vivre longtemps, laquelle s’alimente à la pensée que tant de livres furent écrits dans lesquels je voudrais " voyager " et me perdre corps et bien, que tant d’air vibrant reste à respirer et tant de paysages inouïs à signer d’une petite forme humaine.

 

Quant à mes cheveux, je les sens pousser et revivre comme du poil de chevreau ou de chien de chasse et je m’y habitue. Le matin, en les rebroussant et en les voyant jaillir sous la main, je pense aux tendres descriptions de la fille tondue dans " pour qui sonne le glas ".

La pluie vient de cesser, qui tombait à seaux depuis ce matin. Restent les nuages en dérive sur la cirrhose des continents, certains touchés de lumière comme des comètes ou écailles de papillons. En reflets sur le ciel, les espars des grands peupliers. Le doute naît des épreuves de laideur.

 

Ce matin j’ai su que j’embarquais sur un Escorteur Rapide, " L’Artésien " , comme enseignant et secrétaire. Celui-ci reste la plupart du temps mouillé à Brest, sauf pour de rapides campagnes d’une dizaine de jours. La première coïncide avec la Toussaint où le bateau appareille pour Plymouth.

Si les officiers de cette petite embarcation, cauteleux et " sympathiques ", savaient comme leurs paroles sont disséquées et tourbillonnent en mes orbites, combien de degrés de moquerie il y a sous ma déférence et feinte timidité ! Le contact semble aussi difficile avec l’équipage et les voyages m’aideront à promener cette solitude. le travail de secrétaire, astreignant, me fera apprendre la dactylographie (un peu de panique ne pourra qu’aider au processus) . Je ressens un désir de vivre et d’incarner l’insolence qui s’aggrave depuis que je ressemble à un séminariste nazi; ceci renforcé par le passage du film " Une vie " d’Alexandre Astruc, d’après Maupassant : un de mes plus grands chocs cinématographiques, aussi bien pour la brutalité du traitement qu’en raison de la restitution parfaite de l’esprit d’un auteur.

 

Alexis GLOAGUEN

Dérives en phares

(Edition de Signor)