ALFRED DREYFUS


                         

13 janvier 1898

Avec la publication du "J’accuse", commence la véritable AFFAIRE DREYFUS, celle qui divisera la France en deux blocs.

Le 22 décembre 1894, l’affaire Dreyfus est terminée. Le Conseil de guerre vient de condamner le Capitaine à la déportation perpétuelle et à la dégradation pour espionnage au service de l’Allemagne haïe. Son avocat Demange sanglote. Averti peu après - il attend dans une autre pièce du tribunal -, Alfred Dreyfus reste immobile. Quelques minutes plus tard, conduit à l’infirmerie, il tente de se briser la tête contre les murs. Le 22 février 1895 au soir, le Ville-de-Saint-Nazaire lève l’ancre et emporte avec lui le traître, direction la Guyane. Rideau. Reste la famille. Mathieu, l’admirable frère. Lucie, l’épouse adorée. Autour d’eux, un vaste désert. La presse exulte, et pas seulement l’ignoble Libre Parole de l'antisémite Drumont. Pour comprendre le climat de ces jours-là, mieux vaut encore se tourner vers Clémenceau, notre grand républicain. Dans La Justice, il écrit à propos du condamné : "Il n’a donc pas de parents, pas de femme, pas d’enfants, pas d’amour de quelque chose, pas de lien d’humanité, ou d’animalité même, rien qu’une âme immonde, un coeur abject".

Mathieu Dreyfus ne renonce pourtant pas. Mais comment obtenir la révision du procès ? Malgré tous ses efforts, à l’été 1896, plus personne ou presque ne se souvient du petit capitaine. C’est au coeur de cette nuit que se produit un événement considérable : le Colonel Picquart, tout nouveau Chef du Service de Renseignement de l’armée, commence dans le plus grand secret une enquête sur le Commandant Esterhazy.

En quelques semaines, il découvre l’essentiel: Esterhazy est le véritable espion, l’auteur du fameux bordereau qui a conduit Dreyfus au bagne. Mais il a en face de lui - ce qu’il ignore, bien sûr - une véritable conjuration militaire. Tout au long de l’année 1897, l’armée parvient à étouffer cette vérité naissante, tandis que Mathieu, de son côté, s’en approche. Le 15 décembre, après avoir fait réaliser de nombreuses expertises, le frère du Capitaine publie une lettre ouverte au Ministre de la Guerre dans laquelle il accuse Esterhazy.

Le Commandant dénonce un nouveau complot juif. Mais l’état-major, après de nouvelles révélations sur Esterhazy, juge préférable son passage devant le Conseil de guerre, convaincu d’obtenir un acquittement. Le 11 janvier 1898, c’est chose faite. Picquart, de son côté, est jeté dans une cellule du Mont-Valérien. Dreyfus vient d’être condamné pour la seconde fois.

C’est à ce moment que se lève Zola. Emile est alors connu et célébré dans le monde entier, en particulier dans cette bourgeoisie moyenne "patriotarde" et militariste, pour qui Dreyfus n’est jamais qu’un juif. Il a donc tout à perdre - il sortira au reste presque ruiné de l’Affaire - d’un quelconque engagement en faveur du Capitaine. Il fonce pourtant, bouleversé par l’injustice faite à un homme.

En un jour et deux nuits, il écrit les quarante feuillets d’un texte qu’il apporte au siège de L’Aurore. Clémenceau, qui y travaille, est enthousiasmé : comme lui-même a changé, en trois ans ! C’est lui qui trouve à cette longue lettre adressée au Président de la République, Félix Faure, son titre, "J’accuse". Zola, le grand, le magnifique Zola y brûle ses vaisseaux : "J’accuse le Lieutenant-Colonel du Paty de Clam, écrit-il, d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire (...) J’accuse le Général Mercier (...) J’accuse le Général Billot (...) J’accuse le Général de Bois deffre et le Général Gonse (...) J’accuse le Général de Pellieux et le Commandant Ravary (...)".

Le 13 janvier 1898, des centaines de vendeurs ambulants se répandent dans Paris, où en quelques heures, plus de 200 000 exemplaires de L’Aurore seront vendus. "Je n’ai qu’une passion, conclut Zola, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au BONHEUR. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour ! J’attends." Il n’attendra guère : le 7 février, Zola est devant la cour, poursuivi par le Ministre de la guerre. Il est condamné à un an de prison. Le verdict est cassé mais Zola préfère l’exil en Angleterre sous le pseudo de M. Pascal. L’Affaire débute !

 


sur politis du 8 janvier 1998 n°478