le 10 janvier Rouda a passé deux heures dans notre classe, nous lui avons posé plusieurs questions

  • Qui vous a donné envie de slamer ?

C'est une super question. Je suis capable de te dire pourquoi Rouda, où je suis né... Qui vous a donné envie de slamer ? Il n'y a personne en particulier. C'est le hasard de ma rencontre avec cette discipline. Je marchais dans la rue, et j'ai vu un petit bar où il y avait des gens qui prenaient la parole, ça m'a interpellé. Je suis entré dans ce bar et j'ai commencé à dire des textes de manière très naturelle. Il n'y a personne qui a déclenché cette envie, c'est venu comme ça. Le hasard de la vie on va dire.

  • Où as-tu commencé à faire du slam ?

J'ai commencé à Paris, dans un bar qui s'appelle les Lucioles, qui est un haut lieu du slam français... C'est un bar du XXème arrondissement de Paris, et c'est là qu'ont commencé les premières scènes slam en France. C'était en 2000.

  • Est-ce que tes parents t'ont encouragé ?

Pas vraiment. Mais quand ils ont vu que ça me rendait heureux et que c'était un vrai métier, ils ont accepté assez vite et maintenant ils m'encouragent et me soutiennent beaucoup dans tout ce que je fais?

  • Est-ce qu'il y a un CAP de slameur ?

Pas encore... on a déposé un dossier !

  • Alors comment devient-on slameur ? Il faut suivre des études ?


Non. En fait "slam" c'est un mot qui vient se coller sur un ensemble de pratiques orales que ce soit la poésie, le conte, l'improvisation, le rap... Donc il n'y a pas de diplôme pour être slameur. Il suffit d'en avoir envie, de savoir un peu écrire, un peu dire, et c'est relativement accessible. Il n'y a rien de savant, de compliqué. Je parle devant vous, je suis debout, je suis entrain de slamer, d'une certaine manière. Le slam c'est ça : une parole qu'on donne aux gens qui veulent bien nous écouter.

  • Est-ce que pour slamer il faut scander ?

Non : quand on dit slam, oubliez tout format, il n'y a pas une seule manière de slamer. Chacun ici, quand il dit un texte, a sa propre voix, sa propre respiration, sa propre manière de dire. Tout ça, c'est l'individu lui-même qui va donner de la vie à son texte. Ce n'est pas un rythme particulier, une tonalité particulière, une posture particulière, c'est très large. Il y autant de manières de slamer qu'il y a de slameur. Et vous allez voir que quand vous allez slamer, chacun a sa manière de dire. Il n'y a pas de règle précise pour dire : voilà c'est du slam.

  • Que veut dire 129 H ?

129 c'est le numéro de notre rue à Paris, 129 rue de Bagnolet, et le H dans l'alphabet, c'est la seule lettre muette. C'est à dire que c'est une lettre qu'on ne prononce pas... Pour nous c'est une letrre ouverte : ça peut être 129 heures, 129 home, maison en anglais, 129 "Ho !" , 129 "Ha !".

  • Est-ce que vous pouvez nous raconter comment se passe une tournée ?

Dans une tournée il y a tour.. Ce n'est pas moi qui l'organise. On m'appelle pour faire un concert, et tout se boucle, s'organise sur 6 mois. Là par exemple on est en janvier, je sais déjà ce que je vais faire en juillet. Des dates de concerts sont programmées en amont et je suis avec une équipe de musiciens. Il y a en plus l'équipe de tournée, un ingénieur du son, c'est à dire quelqu'un qui va faire tous les dispositifs pour que cela sonne bien, et un ingénieur lumières. En plus il y a quelqu'un qu'on appelle un "tour manager", en anglais, c'est à dire quelqu'un qui est responsable de tout ce qui est logistique, régie et qui nous accompagne en tant qu'artistes. Moi j'en une tournée très légère, environ 3 ou 4 dates par mois. Je me lève le matin, je prends mon sac, je prends mon train. Quand on arrive on commence par manger, on ne s'occupe pas des contrats, c'est fait en amont. Après il y a les balances pour tester avant le concert tout le dispositif, les instruments, la voix, les lumières... Et après on attend, beaucoup, beaucoup, beaucoup : c'est un métier où l'on attend tout le temps. Après ça commence, et on a une heure et demie pour donner un concert. Même si on a raté notre train, cassé la guitare ou attendu pendant 8 heures, il faut qu'on soit performants au moment où on nous attend. Quand je vais voir un concert, je m'en fiche de savoir si le bassiste a mal dormi, si la chanteuse est fatiguée, j'en envie de voir un concert et j'espère que je passerai un bon moment. Mais c'est un métier où on attend tout le temps.

  • Par quelle ville avez-vous commencé votre tournée ?

La tournée a commencé à Beauvais en octobre, après on a fait ce qu'on appelle des concerts de lancement à la Boule Noire à Paris. Il y avait des journalistes, des programmateurs, plein d'invités. Souvent les spectacles commencent à Paris, je ne sais pas pourquoi, les programmateurs de différentes villes viennent à Paris, voient le spectacle et si ça leur plaît ils l'achètent. Après on est parti à Pordic, dans votre belle région de Bretagne, pas très loin d'ici, et très rapidement on était à Noël. Il y a eu la coupure, et là je reprends fin janvier à Strasbourg. Après on va partir à Bordeaux, Aix-en-Provence, puis on va en Nouvelle Calédonie, c'est un territoire français vers l'Australie. On revient en France et on va à Clermont-Ferrand, on revient ensuite à Paris. Je vous passe tous les autres déplacements dans des petites villes que moi-même je ne connais même pas : Villeneuve-sur-Lot, Villenave d'Ornon...On arrive déjà en mai, après nous avons pas mal de déplacements et nous jouons ensuite en juillet à La Rochelle pour les Francofolies. En apparence ça fait beaucoup de déplacements mais je repasse tout le temps chez moi : un concert me prend deux jours. Je pars le matin, on joue le soir et rentre le lendemai.. si on ne m'a pas jeté des pierres ou des tomates.

  • Y-a-t-il du monde à chaque concert ?

Pour l'instant oui. Il y a du bois quelque part ? La dernière fois ils étaient 5 ! Je fais des concerts dans des petites salles, maximum 500 ou 600 personnes, la plupart du temps autour de 200 ou 300. ça fait pas mal de monde en effet, mais quand tu joue dans une salle de 500 places où il n'y a que 100 personnes, c'est parfois difficile. Dans une grande salle où il n'y a pas beaucoup de monde, ce n'est pas évident.

  • Dans quel endroit avez-vous le plus joué ?

En dehors de Paris c'est en Bretagne.

  • Est-ce que vous êtes en train d'écrire un nouveau texte ?

On vient de finir l'album qui est sorti fin octobre et là je suis en train de travailler sur le nouvel album. Ce sont de nouveaux textes, de nouvelles musiques. En fait je n'ai jamais arrêté, je continue à écrire des textes, de nouvelles chansons.

  • Est-ce que vous avez des vacances ?

Tout le temps ! Non c'est pas vrai : des fois je dis que je suis en vacances toute l'année mais en fait je ne suis jamais en vacances. Je crois que ça va faire deux ans que je ne suis pas parti. Sur une semaine, je ne vais travailler qu'un jour ou deux. Mais quand j'écris chez moi ou que je travaille en studio avec des musiciens, c'est du travail mais je ne suis pas payé pour ça.

  • Est-ce que tous les membres de 129 H jouent avec vous ?

Moi je suis ce qu'on appelle "un artiste en développement". C'est une notion un peu complexe, mlio aussi j'ai du mal à comprendre. Les gens qui s'occupent de moi ne donnent pas beaucoup d'argent parce que pour l'instant je ne vends pas beaucoup d'albums. C'est une espèce de mécanisme : plus tu vends d'albums, plus les gens qui s'occupent de toi vont investir. Souvent l'artiste c'est un produit : il faut vendre, diffuser, faire du marketing, etc... Les gens de 129 H sont avec moi à Paris. Sur toutes les dates autour de Paris, quand ce n'est pas très loin, ils sont là avec moi. Quand je vais en Bretagne ou dans le sud, comme il y a des billets de train, des chambres d'hôtel, ils ne viennent pas, parce que ça coûte trop cher et que je ne suis pas connu.

  • D'où vous vient l'inspiration ?

J'ai envie de dire qu'il y a 50% de mystère et 50% de travail. L'inspiration c'est ce qui se passe autour de nous, c'est pareil pour toi ou pour moi, tu observes, ton cerveau récupère des informations et ça ressort sous forme d'écriture. Mais cette part de mystère n'est pas complète si à côté il n'y a pas de travail. Moi je dis l'écriture c'est comme un sport, ça se travaille tous les jours, c'est un entraînement. Ton inspiration, même si tu en as, elle s'entretient elle se travaille. J'écris beaucoup de textes à partir de ce que j'entends : dans une discussion, dans un bar, dans la rue, si j'entends une phrase qui m'interpelle, je vais la prendre et ça va me nourrir pour écrire un texte. Quand je lis quelque chose ou que je regarde la télé, il peut y avoir une phrase qui va m'interpeller. Il y a donc une part de mystère, on ne sait pas trop d'où cela vient, et une part de travail.

  • Qu'est-ce que ça vous fait d'écrire ?

Ça me fait du bien, déjà, et ça me fait plaisir. Si je suis là aussi, c'est pour vous montrer que l'écriture, en dehors de l'école, c'est quelque chose de super épanouissant. Ça fait du bien au coeur, à la tête, de poser ce que l'on ressent, ses émotions, ses sentiments, ses peurs, ses doutes, ses rêves sur un papier avec son stylo. Et ça quelque soit le niveau d'écriture : parfois en deux phrases tu vas dire davantage que si tu parles pendant une heure. Pour moi l'écriture c'est à la fois un besoin et un plaisir.

  • Est-ce que c'est gênant si on fait des fautes d'orthographe ?

Pas du tout. Ce n'est pas un obstacle : à l'école je n'étais pas très bon en orthographe. Ça se travaille par la lecture, la pratique surtout. Etant donné que c'est à l'oral ! Est-ce que vous m'avez entendu depuis tout à l'heure faire des fautes d'orthographe ? Dans la lecture, dans l'écriture, c'est quelque chose de différent, mais ce n'est pas du tout un obstacle.

  • Combien de temps mettez-vous pour écrire un texte ?

Ça dépend : on revient à cette part de mystère. Parfois dix minutes. "Donnez-moi ma chance par exemple, je l'ai écrit en un quart d'heure. Après il y a des textes pour lesquels je vais mettre beaucoup plus de temps. Tout dépend de ce que je veux en faire. Parfois je vais écrire pendant trois jours, revenir dessus, le retravailler, le mettre de côté et une semaine après je vais le reprendre.C'est toujours différent.

  • Comment arrivez-vous à faire rimer ?

C'est encore une histoire de pratique : j'ai mis beaucoup de temps à écrire les premiers des textes, c'est une technique qu'il faut apprendre et assimiler. Après ça devient presque automatique, les rimes viennent naturellement. Les rimes viennent des mots et les mots sont partout autour de nous. Il suffit d'ouvrir ses yeux et ses oreilles : tout ce qui est autour de nous est matérialisé par des mots. J'ai le mot chaise, le mot tableau, jean, chaussures... Après c'est juste un travail dans le cerveau pour mettre les mots ensemble, les faire rimer. Ce n'est pas très clair ?

  • Comment faites-vous pour scander ?

Moi en fait je viens du rap, j'ai donc cette pratique qu'on appelle le flow. C'est un mot de l'argot américain qui veut dire rythme. C'est comme les rimes, comme l'écriture, c'est par la pratique que tu l'acquiers. C'est en slamant qu'on devient slameur.

  • Quand avez-vous commencé le hip-hop ?

Je devais avoir 16 ans. Mais j'ai commencé à écrire à 12 ans : attention, écrire des poèmes à destination familiale, pour ma mère, ma grand-mère, des trucs très naïfs. J'étais un peu rêveur et j'ai écrit aussi des petits nouvelles, des histoires, des anecdotes.

  • Est-ce que tu crois que quand on est en SEGPA on peut écrire comme toi ?

Bien sûr ! Il n'y a aucun obstacle à l'écriture. Il suffit juste d'en avoir envie. Une fois qu'on en a envie il nous manque quoi ? un stylo et une feuille. C'est pas si compliqué que ça.

  • Quand avez-vous travaillé avec Grand Corps Malade ?

Je continue à travailler avec lui. On travaille ensemble depuis 2003. Il m'a invité sur son album et je l'ai invité sur le mien.