Atelier de formation autour des jeux de lecture à voix haute avec Alain Meneust


Alain Meneust est comédien. Il a travaillé avec le Théâtre de Folle Pensée (Compagnie conventionnée basée à St Brieuc), et a été l’artiste associé de la Scène Nationale de Quimper pendant 10 ans. Aujourd’hui il est membre de la Compagnie Derezo (Brest).Il travaille aussi en collaboration avec La Maison du Théâtre à Brest sur la découverte du répertoire théâtral contemporain, en y animant des ateliers de lecture à voix haute, notamment pour les compagnies amateures.

Au début de son parcours de comédien, Alain était intimidé par les textes de théâtre, il y est venu par l’étude de leur forme et par la lecture, collective et à voix haute. Il travaille beaucoup sur le passage des mots au jeu, du texte à la mise en espace.

Des mots au jeu

Pour Alain, le théâtre c’est aller de la lecture au plateau. La lecture, les mots sont un matériau sonore, poétique qui « traversent » le comédien et mettent en avant l’esprit, les sensations, les émotions… Le rôle de « l’animateur » est d’amener l’enfant à en prendre conscience.

Le ton

Dans la lecture de textes de théâtre, la question du « ton » est importante. Le risque d’une première lecture où on « met le ton » (un ton qu’on imagine être LE bon) est de plaquer un imaginaire extérieur au texte, l’enfermer dans UN sens. « Mettre le ton », dès la première lecture, c’est bloquer l’imaginaire, et passer à côté du texte, de ses mots, de sa musique. On risque de ne pas être ni dans la réalité, ni dans l’appréciation du mot.

Une des erreurs à éviter en matière de lecture à voix haute est donc de tenter « d’entrer dans la peau du personnage », ou encore de « mettre le ton ». Il faut au contraire commencer par lire de manière simple, sans plaquer du faux, afin de donner leur chance aux mots. On peut commencer par amener les élèves à écouter simplement les rythmes et les grains des voix. On pourra alors remarquer les différences d’énergie, de rythme, de volume. Les intentions et le ton apparaîtront par la suite, par la mise en jeu. Simplicité ne signifie cependant pas « Naturel ». Le théâtre n’est en effet pas l’endroit du naturel. C’est un art avec un langage. Ce langage, c’est le jeu. Le théâtre va en cela à l’encontre de la culture de l’image et de la représentation véhiculée par la télévision et le cinéma. Le théâtre est l’art de la recomposition. Inutile donc, de chercher à être « naturel ».

A une enseignante qui souligne le fait que les lectures des élèves sont souvent proférées d’un ton monocorde, Alain répond que l’animateur doit être patient, accepter que la lecture ne lui semble pas sonner « juste », l’objectif de la lecture à voix haute est de rentrer dans le cÅ“ur de la phrase, du texte, ceci afin de le révéler. Alain évoque le « parler vrai », l’intention.
De la même manière, mieux vaut éviter de résumer l’histoire du texte avant de le lire : cela risque là encore de lui imposer un sens, une couleur. Alors qu’un texte peut avoir de multiples « couleurs ». Pour éviter ces écueils et pleinement rentrer dans « l’intimité » des mots, avant de travailler sur son sens, il faut d’abord privilégier le travail (et le jeu !) sur la rythmique et la musicalité du texte.


La rythmique

Dans un texte de théâtre, la musicalité, le rythme sont très importants. Comment travailler sur le rythme d’un texte?

Prise de connaissance d’un texte

Il est important de prendre d’abord connaissance de la « géographie » du texte : sa ponctuation, sa ou ses différentes formes… (en prose, en alinéa…) En respectant la géographie du texte, par la lecture, on laisse transparaître l’écriture de l’auteur. Et cela permet d’imaginer des exercices, des jeux de lectures sur le rythme.
Par exemple, dans l’Ogrelet : différentes formes d’écriture cohabitent. De la prose (ex p 9-10-11) et des phrases courtes « en alinéas » (bas de la page 11 et p 12). Par ces différentes formes, l’auteur livre une rythmique, un fonctionnement différent de la parole.


La ponctuation

Les signes de ponctuation (points, virgules…) donnent un rythme au texte. Ils invitent le lecteur, à ralentir, accélérer ou arrêter sa lecture.

NB : certains textes n’ont pas de ponctuation, comme par exemple Auren le petit serial killer de Joseph Danan. Dans les écritures contemporaines, on peut considérer le texte comme une partition où celui qui le dit peut créer sa propre musique, sa propre rythmique, sa propre respiration et créer ainsi son sens.

Pour Alain Meneust, suivre la ponctuation, c’est comme suivre la respiration de l’auteur. Cf. Louis Jouvet : Le texte n’est qu’une respiration écrite.

Les signes de ponctuation aèrent le texte, ils nous donnent des indications sur le moment où le lecteur doit respirer.

> Technique pour aérer la lecture : Quand on lit, prendre le temps de s’adresser à l’autre, et s’adresser à lui quand il y a des signes de ponctuation :

· à chaque point on regarde son interlocuteur,

· ou on lit une phrase, puis on l’adresse (en plus du regard, l’adresse peut être matérialisée par un geste), · ou encore : on lit la phrase dans sa tête puis on l’adresse à l’autre à voix haute.

NB : ce n’est pas un problème que cela ne paraisse pas naturel, c’est un exercice, un jeu. Quand on ne connaît pas un texte, il faut donner à entendre les mots, tout simplement, sans se préoccuper du sens et ne pas risquer de se compliquer la lecture en essayant de mettre le ton. Chercher à « mettre le ton » est une fausse piste de travail.


La respiration

Quand on lit un texte de théâtre, il est important de prendre son temps. Alain Meneust parle de « dilater le temps », de prendre le « risque » de laisser du temps au texte : de laisser le temps à ceux qui écoutent (et à celui qui lit !) de réellement entendre les mots de l’auteur.

> Lire une ligne ou un alinéa, puis respirer. Prendre le risque du vide, du temps entre les alinéas : lire une ligne, puis prendre du temps pour respirer, c’est laisser du temps pour l’énergie, l’intention. Respirer, c’est prendre du temps pour changer d’intention, d’énergie.

> Travailler sur le rythme des phrases, décider de la durée de la respiration entre les lignes, en fonction du sens, ou arbitrairement, peut modifier l’énergie, l’intention et donc le sens de la phrase.

A chaque fin d’alinéa, prendre le temps de la respiration (qui peut durer plusieurs secondes) amène à la fois le plaisir de dire et d’écouter les mots, mots qui deviennent par cette lecture, matière poétique. Il est important d’amener les enfants, par la lecture, à prendre conscience de la valeur et de la saveur sonore des mots.


L’articulation

Prendre le temps de prononcer les mots. « Donner toute leur chance » aux mots, à tous les mots : être attentif à éviter les contractions (ex : « je l’ai nourri » et non pas « j’lai nourri»). Bien prononcer chaque mot, chaque lettre, même le « e » féminin.

Jouer avec les mots

Ne pas oublier que la lecture est d’abord une lecture de mots, d’un matériau sonore.

> Travailler sur le plaisir de dire un mot. Dire des mots qui ont de la « personnalité » en insistant sur chacune des lettres : « ogrrrrlet ».

> Travailler sur les différentes possibilités sonores d’un mot. Demander aux élèves de penser à quelque chose qu’ils aiment et de dire un mot choisi dans un texte préalablement. Renouveler l’exercice avec le même mot mais en demandant aux élèves de penser à quelque chose qui les effraient : le mot sonne alors complètement différemment.

> Travailler sur le chuchotement ou la sur-articulation.


Le corps

L’attitude du corps est primordiale dans la lecture et demande une posture dynamique. Se tenir droit, même quand on est assis. Car se tenir droit c’est tenir la colonne vertébrale droite et donc libérer la colonne d’air. > Mettre le livre à distance, le tenir avec une main, s’asseoir bien droit, les fesses au bord de la chaise.

L’énergie /le volume de la voix

Parler à voix HAUTE.

La lecture est un acte physique, concret, maintenu, il faut tenir les mots, les pousser. Pour une première lecture, il est important de tenir les phrases, ne pas donner plus d’importance à un mot par l’intonation, lire « linéairement ».

Comment travailler avec un texte de théâtre ?

- Faire un repérage « géographique » du texte : observer sa forme, voir quel parti en tirer,

- L’exploiter en proposant un jeu de lecture dynamique relativement cadré,

- Un « accident » arrive qui révèle un aspect du texte, une de ses potentialités.

L’idée est de donner un cadre de lecture avec quelques règles, puis, au fil des lectures, des prises de paroles, des propositions… la lecture devient musicale. On peut même écrire une partition ! En fixant un cadre on propose des modes de lectures qui provoquent des « accidents » (deux élèves prennent la parole en même temps, un élève emprunte un accent exagéré…) et on rentre dans le jeu. Ces « accidents » secouent le texte, donne à entendre son potentiel, ses motifs…qui ne sont pas forcément repérable par une première lecture linéaire.

Ce qui est surtout important est de ne pas enfermer le texte dans un sens, unique et qu’on présume être LE bon mais le respecter, lui donner la chance de faire entendre sa musicalité, ses potentialités, son rythme. C’est l’auditeur qui additionnera les sens et se construira sa propre compréhension.

Passer par le jeu, ou du moins une mise en situation, permet de réellement entendre le texte en créant une dynamique propre à le révéler.

Pour aller plus loin…

> Bernanoce Marie, à la découverte de cent et une pièces: Répertoire critique du théâtre contemporain pour la jeunesse, Editions Théâtrales, 2006.

> Robin Renucci et Katell Tison-Deimat, 11 rendez-vous en compagnie de Robin Renucci, Editions Actes Sud-Papiers, 2005. Cet ouvrage propose de multiples pistes de jeu à la découverte des fondamentaux du théâtre basés sur les cinq sens et les perceptions du corps.

> La collection éditée en DVD Entrer en théâtre, Editions Sceren CRDP Bourgogne : quatre DVD dont un consacré à « Lire le théâtre à haute voix », complet et plein d'idées à expérimenter en classe.

> CNT, Choisir et jouer les textes dramatiques, Editions Théâtrales. Cet ouvrage rassemble les informations indispensables pour trouver, consulter et jouer les textes dramatiques.

> Sceren CNDP, Théâtre Aujourd'hui n°9, Théâtre et enfance : l'émergence d'un répertoire. Pour faire découvrir des textes et des auteurs d'aujourd'hui.