Introduction de quelques principes :

Selon Ida Hertu, la lecture à voix haute ne doit pas être intellectuelle. La compréhension doit se faire par l’investissement du corps.

Des enseignants estiment que la lecture chez les élèves de fin de primaire et de collège est fluide mais monotone. De plus, il est très dur pour les élèves de s’approprier le texte et d’autant plus de l’investir avec leur corps. Par ailleurs, l’improvisation semble quasiment impossible car les élèves sont encore dans le déchiffrage.

Une enseignante témoigne de son expérience dans sa classe : Lors du déchiffrage d’un texte de théâtre, sa consigne aux élèves est de garder un ton neutre. Puis, elle instaure un échange autour du texte. Ensuite, elle enlève les tables et les chaises pour créer un espace de « jeu ». Elle constate très souvent que ses élèves éprouvent des difficultés à investir leur corps. La plupart ont d’ailleurs besoin d’un accessoire car ils se sentent dans une situation d’exploit, dans un « je me montre ». Du coup, le texte n’a plus d’importance pour les élèves, ils se mobilisent exclusivement dans la démonstration. Pour l’enseignante, l’accessoire est alors un parasite. Est souligné le fait que les enfants ont une vision formatée du théâtre avec des décors, des costumes alors qu’ils n’ont, pour la majorité, jamais vu de théâtre.

D’après Ida Hertu, il est important de comprendre que l’accessoire semble nécessaire du point de vue des élèves pour se rassurer, se donner une contenance, un appui, un intermédiaire entre l’espace et eux-mêmes, car ils se sentent mis dans une situation de danger vis-à-vis des autres élèves qui vont les « juger ». Jouer avec l’accessoire peut constituer une étape avant de jouer avec le texte.

Selon Dominique Le Déault (Très Tôt Théâtre), la première étape dans la lecture à voix haute est le déchiffrage. Le ton viendra naturellement, lorsque les élèves auront intégré le texte.

Comment aider les élèves, les aiguiller dans l’interprétation d’un texte, sans les influencer, sans qu’ils plaquent notre propre interprétation, mais qu’ils trouvent la leur ?

Ida Hertu nous donne quelques astuces…

  • Tout d’abord, il est indispensable pour l’enseignant de laisser le temps, de ne pas avoir la volonté de faire tout trop vite. Le théâtre est un faisceau culturel, sa découverte est un parcours, un cheminement.
  • Il est important d’accompagner les élèves à ouvrir leur attention, leur écoute. Leur interprétation peut être à côté de la plaque parce que nous projetons la notre. Nous, adultes, avons nos propres bagages, une vision du texte et de son interprétation. Cependant, il nous faut laisser exister celles des élèves, quitte à ce que notre interprétation change.
  • L’enseignant est un guide qui doit laisser s’exprimer la richesse des enfants de ne pas être encore autant formatés et enfermés.
  • Le rapport au texte doit être envisagé comme ludique. Le texte doit être considéré comme une matière que l’on découvre. Il s’agit de s’amuser avec les mots, leurs résonances.
  • Il vaut mieux ne pas être dans l’obsession du sens, dans une approche cérébrale, mais dans le ludisme du mot, le plaisir.
  • Par exemple : Choisir une phrase et jouer avec. Jouer avec dans l’espace, la faire se projeter. S’amuser, allongés, tête contre le sol, etc. Passer de l’étape LIRE à celle de DIRE le texte. Murmurer, à l’oreille. Faire passer la phrase à l’oreille de l’autre.
  • Il est important que les élèves soient ensemble, que soit instaurée une coopération. Le théâtre est un partage. Les élèves ne doivent pas le vivre seuls avec eux-mêmes.
  • Il s’agit d’une mise en Å“uvre. Ce n’est pas gagné d’avance. On expérimente. Les enfants doivent s’éprouver les uns les autres. Il est bon de se servir de leur animalité, de les laisser faire, exprimer. C’est comme cela qu’ils aimeront le texte et qu’ils trouveront leur sens.
  • Ne pas charger les enfants du sens du texte. Ne pas être contracté par rapport à ça. Avoir à l’idée qu’un enfant est intrinsèquement juste car il est jeune et encore « innocent ».
  • Au collège voire même avant, des enfants sont complètement fermés, ont peur du ridicule ou sont déjà formatés. La peur du regard des autres et l’inhibition existent bien sûr. Le contexte social, l’environnement familial façonnent déjà l’enfant.
  • On ne peut pas et on ne doit pas résoudre tout ça avec eux. L’important est de créer un mouvement. Certains traîneront et resteront à la périphérie, mais il se passe forcément quelque chose.
  • Avoir confiance dans sa démarche. Elle nécessite du temps. Garder à l’esprit qu’il s’agit d’un parcours à faire ensemble, chaque enfant à son rythme. Il est important que les élèves sentent que l’on n’a pas d’attentes.
  • Avoir à l’esprit que le théâtre, c’est du ressenti.

Une animatrice d’un atelier de pratique théâtrale à destination d’enfants partage son expérience qui illustre ces idées : Cette animatrice, dans sa démarche, part des enfants et de ce qu’ils sont. Elle se positionne comme un chef d’orchestre dont la mission est de mettre en harmonie l’ensemble qu’ils représentent. Par ailleurs, elle estime que c’est à travers les enfants de ces ateliers qu’elle se sent elle-même progresser. Il s’agit donc d’un échange avec un même objectif : aller sur scène tous ensemble à la fin de l’année. Son principe est de laisser les enfants libres, mais avec des contraintes, des consignes pour les amener quelque part. Cette approche demande beaucoup de temps et repose sur le principe de la découverte. Au cours du premier trimestre, les ateliers ont consisté en un travail sur une phrase exclusivement. L’animatrice souligne que les enfants réclament cette phrase, mais ne réclament pas la pièce qu’ils joueront en fin d’année.

Dominique Le Déault (Très Tôt Théâtre) rebondit en précisant que le travail avec les enfants peut se faire sur un extrait et pas forcément sur l’intégralité d’un texte. L’important est que les enfants jouent avec le texte. Le voir ensuite sur un plateau apporte une résonance différente.

Une enseignante indique que, selon elle, l’interprétation d’un texte consiste tout d’abord à savoir écouter son ressenti et le formuler dès la première lecture. Ensuite, le texte dit quelque chose, l’auteur dit quelque chose. Par ailleurs, le sens n’est pas a priori, un texte a parfois plusieurs sens.

Dominique Le Déault précise qu’il y a autant de ressentis possibles qu’il y a de lecteurs. D’autre part, sur un plateau, encore d’autres interprétations sont possibles.

Ida Hertu considère qu’il est bon de distinguer le sens et la matière d’un texte. La matière d’un texte est vivante dans la bouche, dans la voix et traverse le corps. Des codes sont très ancrés et les enfants sont formatés très tôt. Exemple : « Arrête de parler pour ne rien dire ! ». L’enfant est déjà prisonnier par rapport à la parole. Il est donc nécessaire de le dégager de ça.

Suggestions d’exercices:

  • Jeux

Amener les enfants à crier en s’adressant au plafond, au sol, à lancer le mot vers l’horizon, dans les bras, etc. Jouer avec les timbres (aigu, grave, etc.). L’important est qu’ils aient du plaisir.

  • Lecture à voix haute

La découverte du texte implique souvent la peur du silence, du temps de la parole. Les enfants lisent alors dans la précipitation, en ne faisant pas de respirations. Cette démarche est difficile pour les enfants car ils se mettent en danger par rapport aux autres camarades et à leurs regards. Principes clefs : le temps, le souffle, la respiration, le rythme. Ne pas interpréter, découvrir les mots, les dire. Respecter les ponctuations et les mots tels qu’ils sont écrits. Suspendre, étendre la phrase, la voix doit être de plus en plus présente. Etre très présent dans la découverte des mots. Faire sonner les mots avec générosité. Ouvrir sur les blancs, oser les vivre, les porter. La prononciation sert à ce que l’on voit et entende clairement les mots. Il est important de soutenir les mots, d’être dans la générosité. Etre à l’aise dans son corps : décroiser les jambes, s’ancrer dans le sol, etc. Prendre l’espace et installer le décor. Essayer assis, puis debout : on constate alors que le canal s’ouvre, la respiration est là, on porte la voix, etc. Faire résonner les mots dans notre bouche, puis au-delà. Etre attentif à ce que l’on fait et dit. Ne pas avoir peur de la parole. Prendre le temps d’amener les mots. Intériorité nécessaire (passage dans la découverte du texte). Dans la lecture à voix haute, on engage un peu de sa personne, de soi, on amène quelque chose.

  • Consignes

Instaurer une contrainte. Exemple : Lire comme si l’on était au bord d’un précipice. Dire comme si l’on allait tomber. Ce n’est pas dramatique, c’est physique. C’est le corps qui mime. Faire voir et sentir le précipice. Qu’il soit présent. Ce travail repose sur l’intention. Il s’agit de déployer une force physique et que le corps résiste. La voix et le ton passent par le corps. Possibilité de pousser ou de retenir le « diseur ». Faire ressentir un rapport de force.

  • Groupe divisé en deux, à chaque bout de l’espace

Adresser le texte à ceux qui sont à l’autre bout de la pièce. Accepter le jeu de devoir traverser l’espace avec la voix (par exemple, un hall de gare). Projeter la voix. Garder la ponctuation et s’amuser vocalement avec. Donner de la consistance aux mots, les élargir dans la bouche. L’idée est de faire entendre toutes les syllabes, les voyelles, les consonnes. Il est important de s’enraciner dans le sol, de donner de l’amplitude. Le mouvement part du ventre. Adresser au loin en imaginant que les mots doivent traverser le hall d’une gare.

  • S’interpeller les uns les autres

Exemple : Heho ! C’est moi ! Ouh Ouh ! Ca va ? Le lecteur dit le texte dans cet esprit. Etre dans l’idée qu’il faut absolument que l’autre m’entende : « Merde, il a mon passeport ! ».

  • Les deux groupes se rapprochent

Soutenir les mots. Solliciter un appui sur le diaphragme. S’approcher de plus en plus les uns des autres. Se chuchoter à l’oreille. Donner de la matière. Exercice en duo, en binôme. Chuchoter, parler, converser, crier, interpeller pour obtenir un brouhaha où chacun finit par être à l’aise…