Mardi 2 décembre, 8h30, médiathèque de Lambézellec, le jour peine à se lever, les 27 élèves de 1ère CAP de Mme Dagnaud sont installés en demi-cercle, à distance raisonnable d'un...poète : Jean-Claude Touzeil, auteur du recueil « Parfois », qu'ils ont lu en cours de français. Ce dernier leur demande s'ils sont prêts pour un petit tour en poésie -dans sa poésie du moins- : pas de réponse...

  • Il se présente alors, à travers son environnement : « j'habite un petit patelin de 200 habitants : Durcet dans l'Orne, et comme dans tous les petits bourgs, la vie y diminue, les traces de la vie aussi : les cafés disparaissent un à un, les écoles ferment , l'épicerie du village aussi, dans laquelle battait le coeur du village ; « vous vous rappelez l’épicerie du bourg ? » lance JC Touzeil, et il poursuit par la lecture du poème :
  • On allait y chercher comme une surprise :
  • Un paquet de tabac, un bibelot doré,
  • Une carte postale avec un timbre-poste,
  • Trois croissants le dimanche, un cigarillo,
  • Un séraphin joufflu soufflant dans la trompette,
  • Deux sous de caramel pour les petits enfants.
  • On allait y chercher une ancienne musique :
  • Le café à la livre, la goutte à la chopine,
  • Une pincée d’épices, trois hectos de farine,
  • Du savon de Marseille et des morceaux de camphre,
  • Un bâton de vanille avec un hareng saur
  • Et deux rouleaux d’attrape-mouches.
  • On allait y chercher un semblant de nouvelles :
  • Le voisin est malade, il va pleuvoir demain ?
  • À vendre vélo homme, prix très raisonnable,
  • On dit que votre fille fréquente,
  • Réunion vendredi pour ceux de la paroisse,
  • La vache a vêlé cette nuit.
  • On allait y chercher l’aspirine des jours,
  • Le bonheur au détail, la vie qui ralentit
  • Entre les pages de l’almanach un timbre-poste,
  • Et le cÅ“ur du village qui bat contre une ardoise,
  • La vie, comme à crédit.
  • Vous vous rappelez l’épicerie du bourg…

Jean-Claude Touzeil (Mine de rien –Clapàs)

  • Le ton est donné : JC Touzeil va nous parler simplement, de choses simples.
  • Imperceptiblement, l'assemblée se détend ; j'aime jouer avec les mots dit-il, dans « Peuples d'arbres », qui est en quelque sorte mon « best seller » (le recueil en est à sa quatrième édition, ce qui est relativement rare pour un recueil de poésie) on peut lire :
  • « Planter un petit bouleau pour lutter contre le chômage ».

Une main se lève, ça y est : Nasra se lance et pose une question :

  • « Pourquoi avez-vous choisi la poésie ? »
  • « Parce que déjà je ne me sens pas capable d'écrire autre chose, des romans, des nouvelles, par exemple, ou de peindre ; la poésie, c'est ce qui correspond le mieux à mon expression, et puis c'est quelque chose d'assez court. J'ai commencé à écrire à votre âge, mais il a fallu 15 ou 20 ans pour que j'ose montrer ce que j'écrivais ! »
  • « Quand pensez-vous arrêter ? » enchaîne Glwadys
  • « Le plus tard possible ! Je suis accro à la poésie, c'est comme une drogue ».
  • « En combien de temps écrivez-vous un poème ? »
  • « C'est très variable, en tous cas, l'idée du poème peut naître très vite, puis vient un travail de menuisier : il faut raboter, parce que souvent on écrit trop. La plupart du temps, un mot en entraîne un autre, il se produit comme une alliance de mots, un mariage qui n'a jamais eu lieu avant. Mon inspiration naît d'émotions que j'éprouve, de quelque chose qui fait battre mon coeur. Quand on est ému et qu'on essaie de traduire cette émotion, ça peut donner quelque chose de poétique ».
  • « Des personnes vous inspirent-elles ? »
  • « Oui, mes proches, ma femme, mes enfants, et maintenant mes petits enfants ».
  • «Combien de poèmes avez-vous écrit?»
  • « Combien ? Vous savez, quand on aime, on ne compte pas ! Je peux vous dire quand même que j'ai écrit une trentaine de livres. J'écris aussi parfois avec une contrainte : on me demande d'écrire pour des événements ponctuels (printemps des poètes, par exemple) sur des thèmes précis ou bien avec des contraintes précises. Et vous savez, quand on a accepté le principe de la contrainte, on éprouve une liberté incroyable à l'intérieur même de cette contrainte. Prenez l'exemple du haïku et de sa construction imposée (5, 7, puis 5 syllabes) dans « Haïku sans gravité », j'ai écrit :
  • « Le gardien de phare
  • lance une idée lumineuse
  • par intermittence »
  • Je vous encourage à écrire à votre tour en toute liberté dans un espace de contrainte...

Voici un autre exercice possible : commencer par « Je me souviens... » à la manière de Georges Perec, et jouer le jeu de livrer un petit souvenir.

  • « Comment savez-vous qu 'un poème est terminé ? »
  • « Une petite voix intérieure m'en avertit ».
  • Quelques élèves lisent les « Parfois... » qu'ils ont composés, JC Touzeil donne quelques conseils, les échanges sont maintenant plus spontanés, les visages plus expressifs, les regards confiants, mais l'heure tourne, 9h30 déjà, il est temps de regagner le lycée, le jour est levé à présent, un ciel orangé éclaire les baies vitrées de la médiathèque, les 27 élèves se sont glissés imperceptiblement dans la poésie de JC Touzeil.
  • Gageons qu'ils suivront les conseils d'écriture donnés lors de cette belle rencontre, et transmettront leurs textes au poète qui est venu d'un tout petit patelin de l'Orne, leur rendre visite en toute simplicité...